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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 17:19

"Arrêtons-nous un instant sur l'idéogramme qui paraît être le plus simple de tous les signes chinois : le chiffre « 1 »... Dans tous les manuels de calligraphie, il est décrit comme étant un «simple petit trait horizontal ». Ne nous y trompons pas, il recèle bien plus que cela.

La trace d'un mouvement

Pour tracer cet unique trait, le pinceau est amené d'abord à se recourber, s'enrouler, s'aplatir, puis il doit s'élancer d'un jet, et ensuite s'assagir, s'enrouler à nouveau et finalement s'élever tout doucement comme quittant à regret la feuille où subsiste la trace de sa danse.

Tous ces mouvements, dont la complexité d'exécution est le piège favori des professeurs de calligraphie éprouvant ainsi l'ardeur des débutants, se déploient selon trois étapes principales : un mouvement global d'expansion, jeté ici vers la droite et le haut du rectangle imaginaire dans lequel est équilibré le tracé, le « corps » du trait, d'abord précédé, préparé pourrait-on dire, par un mouvement de concentration dirigé à l'inverse, vers la gauche et le bas et effectué en rotation et ensuite suivi, parachevé, paraphé par un mouvement également dirigé à l'inverse du jeté d'ensemble, une rotation encore, accueillant, apaisant pourrait-on dire la tension nécessitée par le jeté précédent.

Voilà comment, pour écrire le « un », nous avons été amenés à faire un pas de trois ! Comment par le simple exercice du pinceau nous avons tout naturellement été amenés à faire précéder et suivre le (mouvement) Yang par le (mouvement) Yin, retrouvant ainsi l'ordre traditionnel d'énonciation ainsi que le rythme habituel d'exécution de la plupart des mouvements du Tai Ji Quan et découvrant, masqué par l'apparente unicité du jeté horizontal, les deux pas Yin qui ont entouré, nourri, scandé et permis sa réalisation.

La trace d'un mouvement

Et ce n'est là qu'un aperçu de ce qui pourrait être dit sur ce simple tracé et sur les raisons pour lesquelles les Chinois ont une certaine admiration pour les lignes en général et particulièrement pour les traits que leurs pinceaux font naître. On aperçoit aussi comment ,pour l'esprit chinois, peut s'estomper la différence qui nous semble évidente entre calligraphie et arts physiques du Qi. L'un comme l'autre sont des recréations de la circulation du souffle vital, des incitations à retrouver sa fluidité; ils ne diffèrent que par le matériau employé. Le premier emploie le pinceau et le papier, le second le corps et l'espace; les deux renforcent le corps et apaisent l'âme…

Le mouvement de jeté qui, dans le tracé du chiffre « un», s'enracine avant d'être lancé et s'apaise une fois terminé et qui donne son « ossature » au trait final, n'est pas un mouvement de l'esprit, c'est la manifestation de la vie même, du souffle qui s'incarne dans chacune des formes vivantes. Voilà pourquoi les manuels de calligraphie disent que, lorsqu'il est bien tracé, le caractère «un» doit avoir l'aspect d'un « os de patte d'oiseau ».

Mais on aurait tort de prendre cette image élégante pour une métaphore poétique, c'est une affirmation philosophique. À la coupure irréductible et fondatrice entre le monde des humains et celui de la nature, justifiant dans les cultures indo-européennes l'emprise de ceux-là sur celle-ci, l'acte de foi de l'écriture chinoise oppose l'idée que l'affirmation de la dignité humaine tient plus à l'unisson avec la nature qu'à sa soumission. On n'écrit pas en Chine pour affirmer une différence, mais pour affiner une consonance."

La trace d'un mouvement

Extrait du Discours de la Tortue de Cyrille J.D. JAVARY

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